AU BOUT DE LA PEAU fait sa mue
Concilier Cirque & Arts plastiques au sein d’un spectacle vivant et audacieux, c’est le défi que se sont lancées Ana Julia Moro & Beatriz Duarte, les jeunes artistes aux commandes de la Compagnie Arrepio. Au cœur de leur 5e Résidence à UP - Circus & Performing Arts, et à 3 semaines de la Première de leur spectacle AU BOUT DE LA PEAU, l’Italo-Brésilienne & la Portugaise reviennent sur les grandes étapes de leur première création en tant qu’autrices-interprètes. Il faut dire que l’ambition était grande : intégrer des matériaux plastiques comme la cire à la pratique circassienne n’est pas chose courante... ni aisée ! L’occasion aussi de révéler l’envers du décor d’un long (et pas toujours facile) processus de création.
Entre Ana Julia Moro & Beatriz Duarte, c’est déjà une longue histoire d’amitié et de création : l’une vient du Brésil, l’autre du Portugal, mais elles se sont formées ensemble à l’ESAC (Ecole Supérieure des Arts du Cirque) à Bruxelles, dont elles sortent diplômées en 2021. Dans la foulée, elles créent avec toute leur promo le Collectif Soif Totale qui compte déjà deux spectacles et de belles tournées à son actif. En parallèle, Ana Julia & Beatriz travaillent depuis trois ans à leur premier spectacle avec leur propre Compagnie.
Dans AU BOUT DE LA PEAU, c’est la cire qui attire tous les regards. Elle se dépose sur les visages, sur les corps, les emprisonne ou les drape en de fascinantes sculptures humaines. Avant de se désagréger avec le mouvement. Une gageure technique et une ambition affirmée qui n’ont pourtant pas effrayé les deux jeunes artistes : “Dès le début, on savait que le projet était ambitieux. Mais on a avancé par étapes, on a mis trois ans à tout gérer, à s’occuper de la partie administrative, à écrire le projet, à trouver des partenaires, et à savoir exactement ce qu’on voulait explorer, avec qui et où”, explique Beatriz Duarte. Il faut dire que le chemin peut sembler semé d’embûches pour de jeunes circassien·nes à peine sorti·es des études, et qui veulent se lancer dans le grand bain. Pourtant des aides existent. Notamment, une aide financière de la Fédération Wallonie-Bruxelles leur a été accordée, sous la forme d’une bourse pour leurs recherches avec la cire.
“Le parcours a parfois été difficile, mais heureusement, on a trouvé des partenaires à l’écoute”. Elles ont ainsi pu compter sur l’aide des Centres de création flamands MiraMiro & PERPLX et, du côté francophone, du Centre culturel du Brabant wallon, de Latitude 50 et bien sûr de UP – Circus & Performing Arts, qui accompagne le projet depuis les premières expérimentations. L’équipe d’Arrepio a effectivement été plutôt bien soutenue par UP, à travers 5 périodes de recherche/création étalées sur 2 années, complétées d’un soutien financier dédié aux 2 dernières Résidences, hébergées dans la BlackBox du Centre scénique.
Un spectacle en cohésion
Une présence tout-terrain que la directrice artistique de UP – Circus & Performing Arts, Catherine Magis, envisage comme essentielle : “La création circassienne prend énormément de temps. Pour qu’un projet arrive à maturité, il faut pouvoir proposer aux artistes l’accompagnement nécessaire et la possibilité d’avancer pas à pas. UP est une boite à outils qui permet à chacun·e de trouver les ressources dont il·elle a besoin, selon l’étape du processus de création du projet”. Comme le souligne Zoé Gravez, chargée d’administration et de production sur le projet AU BOUT DE LA PEAU : “UP, ce sont de sacrés partenaires pour nous. Ils ont donné beaucoup de temps et d’espaces de création, ils nous ont soutenues financièrement aussi. C’est précieux”. Ana Julia confirme le lien très fort qui les unit : “Il y a plein d’endroits géniaux pour le Cirque à Bruxelles, mais UP c’est presque notre deuxième maison ! On donne des cours, on s’entraîne, on travaille en résidence, … On fait tout ici. Et on a un super lien avec l’équipe, on se sent ici chez nous”. La confiance comme maitre-mot. Parce qu’un spectacle de Cirque, comme tout Art Vivant, se construit d’abord en cohésion. C’est le résultat d’un nombre incalculable de (petites) mains, et de partenaires attentifs, qui bâtissent l’édifice.
La peau, cette armure fragile
Outre ces considérations externes, AU BOUT DE LA PEAU se vit de l’intérieur comme un jeu sensible et sensoriel sur les corps, création née du mariage heureux des Arts visuels et du Cirque. Le spectacle prend d’abord appui sur les deux agrès de prédilection des circassiennes, le cerceau aérien pour Ana Julia et le mât chinois pour Beatriz. “C’est l’agrès qui a défini le travail sur la peau, sur le corps, qui a défini notre manière de bouger. On a très vite eu l’idée de combiner les agrès, qui ont quelque chose de dur, de noir et d’un peu obscur, à la cire qui est une matière molle, claire, lumineuse”, précise Beatriz. Au début, il a fallu tester tous les types de cires : à base de colza, de soja, aux huiles essentielles… La paraffine aussi. Mais “avant, ce n’était pas encore de la cire, c’était des bougies ! On a même testé des bougies plastifiées horribles pour la peau. Ensuite, pour chaque cire, il y a un point d’ébullition et un temps de fonte différents. On a passé énormément de temps à faire de l’alchimie dans la cuisine”, rigole Ana Julia.
De fameuses contraintes liées au matériau lui-même, glissant et collant, peu propice aux tapis de danse des plateaux de théâtres… Justement, l’idée des jeunes artistes est aussi, à terme, de s’affranchir des circuits de diffusion “classique” pour aller vers des lieux non-conventionnels, y proposer des performances dans des musées, des salles d’exposition ou même des vitrines. “Quand on joue le spectacle, on ne montre pas tout le processus, mais il est tellement intéressant ! Chaque construction prend beaucoup de temps. Ça vaut la peine de montrer l’arrière-plan, le côté cru, brut au-devant de la scène”, explique Ana Julia. Grâce à la bourse de la FWB, elles ont pu faire appel à une plasticienne, Manon Terranova, avec laquelle elles ont mis au point la principale dramaturgie du spectacle : la fabrication d’une nouvelle peau, de cire celle-là, sur leur propre peau. Ou comment la peau, cette armure contre le monde extérieur, est aussi d’une grande vulnérabilité. Comment elle peut être le réceptacle de la violence aussi.
Inspirées par le travail de l’artiste brésilienne Tatiana Blass et de ses “sculptures en action”, les deux créatrices ont aussi l’intention de montrer le processus de transformation de la peau au fil du temps ou des événements de la vie. C’est pourquoi le spectacle, conçu comme un véritable voyage à travers les sens, invite à l’empathie : “Comme le spectacle joue beaucoup sur le sensoriel, le visuel, le bruit et les odeurs, on a reçu beaucoup de feedbacks de personnes qui ressentaient la douleur ou la chaleur à la simple vue de notre spectacle. Cela nous a ramenées à l’idée des neurones miroirs, à l’empathie ressentie par l’autre. On a aussi travaillé sur la limite entre le plaisir et la douleur”, détaille Ana Julia.
Des questionnements que les deux circassiennes n’ont pas fini d’explorer. Beatriz insiste : “On continuera sûrement avec ce concept de cire sur la peau, mais peut-être avec d’autres formats. On aimerait continuer à faire vivre le concept, c’est sûr”. C’est tout ce qu’on leur souhaite.
- Première le 12/10/24 à VITRINE PERPLEX à Courtrai https://www.perplx.be/
- Le compte Instagram de la Compagnie : https://www.instagram.com/arrepiolecie/
- Crédits photos : @Cie Arrepio et @UP – Circus & Performing Arts
La Cie Arrepio
Ana Julia Moro est diplômée de plusieurs Ecoles de Cirque au Brésil & au Portugal. Elle a ensuite passé 3 ans à l’ESAC où elle a obtenu son diplôme spécialisé en cerceau aérien en 2021.
Beatriz Duarte s’est formée dans 3 Ecoles de Cirque au Portugal avant de sortir diplômée de l’ESAC, avec spécialisation mât chinois, en 2021.
Ana Julia & Beatriz se sont rencontrées au Portugal où elles ont étudié ensemble avant de se diriger toutes les deux vers l’ESAC où, au sortir de leur formation en 2021, elles créent avec toute leur promo le Collectif Soif Totale qui compte déjà deux spectacles à son actif.
AU BOUT DE LA PEAU est leur première création en tant qu’autrices-interprètes.