Assumer les corps fragiles, avec la Compagnie de Cirque “eia”
Ces 3 prochaines semaines, UP accueillera en Résidence de Création la Compagnie catalane “eia” autour de son nouveau projet, SECRETS. Un spectacle qui promet de belles envolées acrobatiques, mais pousse surtout la réflexion un cran plus loin autour des grands enjeux sociétaux, relationnels & intimes que nous traversons. Un Cirque humain, plus qu’humain, façonné par l’envie de dire les fragilités des corps & des existences. Avec un leitmotiv : assumer la fatigue & le vieillissement des corps tout en visibilisant d'autres modèles, souvent absents des Pistes. Une réflexion singulière & sensible au sein d'une pratique qui, traditionnellement, cache bien souvent ses failles derrière le joli vernis de la performance.
“eia”. Trois lettres minuscules pour une Compagnie qui ne fait que grandir d’année en année, de projets en créations. Trois voyelles pour dire “oui” en sarde ou “élans imprévus accordés” en français. Et de l’élan, il y en a chez ces artistes venu·es pour la plupart de Catalogne, mais aussi d’Italie, formé·es un peu partout en Europe à la pratique circassienne. Après 15 ans d’existence, 6 spectacles vus dans 25 pays, la Compagnie de Cirque “eia” s’apprête à monter sa nouvelle Création, qui sera présentée à l’horizon printemps-été 2026. Et profitera donc d’une « Résidence Accompagnée en Coproduction » de 3 semaines, à UP – Circus & Performing Arts, dès ce 27 octobre 2024.
Parrains & marraines
Car oui, l’accompagnement & le soutien aux Créations font partie de l’ADN de UP, à travers des dispositifs progressifs adaptés aux différentes étapes des Créations. Et permet aux Compagnies l’accès à des Résidences, qui, depuis de nombreuses années, s’ouvrent aussi aux projets hors frontières. Et c’est évidemment dans ce cadre que l’équipe du Centre scénique accueille la Compagnie catalane. Parce qu’entre “eia” & UP, c’est une longue histoire de complicité. Trois de ses créations ont été programmées à UP Festival : CAPAS en 2012, IN-TARSI en 2016 & NUYE en 2022 !
C’est dire si la confiance est le maitre-mot d’une relation au beau fixe. Comme le sourire de Fabrizio Giannini, codirecteur artistique, à l’évocation de leur prochaine arrivée à Bruxelles : “Avec Catherine [Magis] & Benoît [Litt], on se connaît depuis les débuts de notre Compagnie (et même avant !). Elle & lui font partie des Marraines & Parrains qui nous ont accompagné·es dès le début, qui nous ont donné beaucoup d’énergie et, aussi, beaucoup de confiance. Artistiquement, on a une grande complicité”. Avec SECRETS, le nouveau projet de la Cie “eia”, et cette Résidence à UP, c’est l’occasion de partager les prémisses du processus créatif. “Avec en ligne de mire, la vitrine du Festival bien sûr, qui est magnifique. Et ça, c’est précieux”, se réjouit Fabrizio.
L’humain plutôt que la performance
Pour sa dernière Création, la Compagnie entend continuer à tisser son fil rouge, qui serpente de pièce en pièce, celui des relations humaines, en y entremêlant celui du secret. Familiales, intergénérationnelles, entre Artiste & Public, entre individu & collectif, dans le couple ou en duo, les relations creusent leur sillon autour de chacun des six spectacles du groupe, en renouvelant le sens à chaque fois. Ici, confronté·es à l’incommunicabilité latente de nos sociétés individualistes, face à la montée des droites identitaires qui isolent plus qu’elles ne rapprochent, les créateur·ices veulent ouvrir la réflexion à des modèles alternatifs de sociétés, de relations : “C’est la mission du Cirque, et des Arts en général”, souligne Fabrizio Giannini. C’est aussi pourquoi il a fallu revenir à la base du projet artistique de la Compagnie, “c’est-à-dire à l’importance des relations humaines au-delà de la performance des acrobaties, à l’importance de la communication, de l’entraide, du travail collectif. Plus on avance, plus notre affirmation et notre action deviennent politiques”.
Que faire de ce corps qui vieillit ?
Justement, le temps est l’autre grande thématique abordée par le spectacle en devenir. L’inexorabilité du temps qui passe et les transformations qui l’accompagnent, de façon intime ou plus professionnelle. Comment aborder les défis qui nous attendent face aux bouleversements politiques & climatiques ? Que faire de ce compte-à-rebours enclenché ? Mais aussi que faire de ce corps qui vieillit lorsqu’on est acrobate et que notre vie entière réside dans la santé de nos muscles et de notre squelette ?
Ces questions, les deux directeurs artistiques Fabrizio Giannini & Armando Rabanera, les vivent intimement. Après 6 années passées hors de la scène, à gérer les productions de l’extérieur, les deux compères ont retrouvé l’envie de revenir sur la Piste, mais avec de nouveaux questionnements : “Armando & moi, on a tous les deux plus de 45 ans, un âge où dans les sports de haut niveau comme la gymnastique, les athlètes sont à la retraite depuis longtemps ! Le défi c’est de revenir sur scène, et plutôt que de cacher les effets du temps qui passe, de les assumer au contraire, et leur donner une valeur”.
Bandages & tissus hydrochromiques
Et de les intégrer à la scénographie presque comme des Agrès de Cirque : rendre visibles les multiples bandages que les artistes utilisent en renforcement de leur corps [genouillères, chevillères, bandes pour le dos…] en les utilisant physiquement pour la pratique. Peut-être avec l’idée de ne pas duper le public, ne pas donner l’illusion que c’est facile. Et apporter une valeur à la fragilité des corps.
D’autres dispositifs comme des costumes fabriqués avec des tissus hydrochromiques, qui changent de couleur au contact de l’eau, donc de la sueur, pourraient être utilisés. “On parle de corps fragiles, continue Fabrizio. L’idée c’est d’assumer la sueur, d’assumer la fatigue comme quelque chose de beau aussi, et qui peut générer l’empathie du public parce que tout le monde le vit”. Ou comment renverser le paradigme de l’Artiste de Cirque au corps tout-puissant. S’éloigner de la performance pure. Et aller à l’encontre du discours social stéréotypé sur le vieillissement pour mieux rencontrer les gens.
L’idée est aussi d’offrir d’autres modèles de corps pour déconstruire les clichés, notamment genrés, souvent tenaces. La Compagnie “eia”, très sensible à ces nouveaux défis, y a parfois été brutalement confrontée : “Quand on a voulu faire un duo de main-à-main au féminin, c’était compliqué parce que toutes les femmes font de l’aérien et tous les hommes font de l’acrobatie”, poursuit Fabrizio. Cette répartition des rôles est aujourd’hui préjudiciable à un Cirque qui se veut le plus inclusif & ouvert à tous les possibles.
Et ces questions, c’est sûr, la Compagnie les intégrera à son nouveau projet. Comment ? Surprise, tout est encore à (dé)construire, cet automne, lors de leur « Résidence de Création Accompagnée en Coproduction » à UP – Circus & Performing Arts !
- Visitez le site de la Compagnie : https://www.circoeia.com/fr/
- « Le Corps à l’épreuve du Cirque« , un sujet passionnant, à approfondir avec un Numéro entier de C!RQ en CAPITALE, le Magazine de la vie circassienne bruxelloise, à consulter en ligne : https://cirqencapitale.be/magazine/cirque-en-capitale-5/.
- Le Numéro 14 de C!RQ en CAPITALE, “Femmes de Cirque, une révolution à mains nues”, est consacré aux inégalités de genre. Aussi, à consulter en ligne : https://cirqencapitale.be/magazine/cirque-en-capitale-14/