« Talweg » : merci de laisser vos repères au bestiaire.

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Que se passerait-il si les Titans revenaient sur terre pour voir ce que les hommes ont fait de la planète ? Dans « Talweg », un humain aux prises avec quatre colosses mythologiques va vivre un conte circassien aux allures de rêve (bien) éveillé. Bienvenue dans l’univers baroque de Sara Lemaire, cette autrice et metteuse en scène qui emprunte autant à la littérature qu’à l’univers de la mode et des arts plastiques, pour forger un cirque passionnément pluridisciplinaire. « Au cirque », dit-elle, « on peut dire les choses par la peau. » Rencontre dans les coulisses d’un bestiaire inédit, qui convoque tous nos sens.

Férue d’expérimentation et de mélanges explosifs entre les arts, la compagnie Petri Dish nous a habitués à des spectacles entêtants, où le corps s’allie à de saisissantes scénographies. Depuis « Expiry Date » (2014) et ses machines à mesurer le temps, chaque création de l’équipe est venue confirmer sa puissance expressive : « Driften » (2016) dévoilait un salon envahi par la végétation, « Valhalla » (2018) affrontait la houle de la mer, tandis que « The Show » (2020) défiait carrément le totalitarisme nord-coréen. Le chic de l’équipe ? Mettre le corps au centre du propos, au cœur de ces images impressionnantes. « Talweg », mis en scène par Sara Lemaire, nous invite à nouveau dans un univers où se côtoient l’étrange et le familier. Au sous-sol d’une maison qui tremble et s’effrite, un homme entame un dialogue étourdissant avec quatre visiteurs mythologiques. Est-ce la fin du monde ou l’aube des temps ? Ce sera bien sûr à chacun de former sa réponse face à ce « conte cruel circassien », comme le présente la metteuse en scène.

Comment t’est venue l’idée de ce « conte mythologique pour 5 titans » ?

Sara Lemaire : Mes sources d’inspirations sont souvent musicales ou plastiques. Pour moi, le déclic de ce spectacle a eu lieu… lors d’un concert. Nous sommes en 2019, je suis à la Jazz Station à Bruxelles et j’écoute Sylvain Darrifourcq, un batteur de génie. Tout à coup, il nous joue un morceau de 9 minutes où les percussions évoluent en bruits de plus en plus puissants, qui m’évoquent des choses qui tombent du plafond. Le son va crescendo et, dans ce moment où tout semble s’effondrer, surgissent soudain le violon et le violoncelle des frères Théo et Valentin Ceccaldi. Dans ce magma, leur mélodie amène une mélancolie absolue. Cette petite musique fragile dit que quelque chose survit, continue malgré tout. J’ai vu que tout s’effondrait mais que subsistait quelque chose de gris et doux en même temps, une sorte de crépuscule d’automne. Je me suis dit que je voulais faire un spectacle qui raconte ça ! Comment continuer à y croire et à vivre quand tout s’effondre ?

 

 

« Talweg », au final, ne parle pas frontalement d’effondrement ou de « la fin des temps ». Il remonte plutôt aux débuts mythologiques de l’aventure humaine !

La mythologie est une base très concrète dans l’écriture du spectacle. Je ne voulais pas qu’on y lise l’actualité des questions climatiques et environnementales. Je souhaitais plutôt évoquer la peur qu’elles engendrent. Je retourne donc aux débuts des temps humains, aux premiers mythes, pour y puiser l’inspiration de différents personnages. Gabor, qui habite en sous-sol, sous un énorme lustre qui tinte et tremble, va croiser Pan, Atlas, Pandore et Epiméthée, le frère de Prométhée. Je ne me focalise donc pas sur l’effondrement, mais sur la figure des Titans, des dieux et des monstres, eux-mêmes engendrés par nos peurs, qui nous aveuglent.

 

Chacun de ces personnages mythologiques semble développer des propriétés très circassiennes ?

Je suis extrêmement fidèle à l’équipe avec laquelle nous travaillons depuis longtemps. J’aime bien l’idée de « clan » ! Pour dessiner les personnages, je me suis directement inspirée des interprètes qui les jouent. La composition vient de qui ils sont – et de leur recherche. J’adore l’idée de sublimer l’invisible qu’ils et elles portent ! Par exemple, Anna Nilsson est Pan (dont le nom a donné « panique » en français), elle se mue en faune juchée sur des chaussures à très hautes semelles, mais on la croise aussi en équilibre sur les mains au bord de la baignoire de Gabor. Pour chaque personnage, les ressources circassiennes sont essentielles : Atlas (Thomas Dechaufour) fait de l’acrobatie au sol, Pandore (Marina Cherry) se contorsionne, Epiméthée (Vincent Maggioni) défie le plafond par son mât chinois et Gabor (Carlo Massari), coincé dans son sous-sol, dialogue avec tout ce petit monde par la danse et le chant.

 

 

Avec son lustre brinquebalant, sa cave qui vacille, mais aussi ses sons, ses lumières ciselées, ses projections, « Talweg » en appelle à tous les arts. Peut-on parler de composition baroque ?

Oui, tout comme j’avais envie de transformer les corps, je souhaitais composer des images où les spectateurs puissent avant tout puiser des sensations. C’est en cela qu’on peut parler de création baroque : une multitude de signes tournoient en même temps, et c’est du mélange de toutes ces lignes que se dégage une narration avant tout basée sur les sens. Chaque spectateur recevra ces signes de façon très différente. J’aime bâtir du concret sur des sensations parfois très floues. En tout cas, je le tente !

 

Quel est, selon toi, la force expressive du cirque ?

Pour moi, écrire pour le cirque est une évidence. J’ai toujours eu en tête des images de ce type. Après avoir étudié la réalisation à l’IAD, j’ai vu en 1999 le travail de Johann Le Guillerm. Son travail sur le corps et ses prolongements m’a envoûtée. Le cirque permet d’explorer ce qui se joue entre objets et humains. Je souhaitais faire des spectacles qui utilisent très peu de texte, qui passent avant tout par le mouvement. Dans « Talweg », si les interprètes n’étaient pas des circassiens, rien ne serait possible. Quand la contorsionniste Marina Cherry traverse l’espace en araignée, il se raconte quelque chose que les mots ne pourront jamais dire. Elle exprime toute la répulsion qu’inspire la fourberie humaine – ou toute autre sensation que vous voudrez y voir. Le travail circassien m’intéresse par sa capacité à toucher sans les mots. Le cirque ne triche pas. On peut y dire les choses avec la peau.

 

 

Les images de « Talweg », entre jour et nuit, rêve et cauchemar, brouillent volontiers nos repères. As-tu aussi pensé le spectacle pour le jeune public ?

Je ne me suis pas posé la question en écrivant le spectacle, mais notre univers peut sûrement s’adresser à des enfants qui sont dans « l’âge du conte ». Car c’en est un ! Je dirais à partir de 8 ou 9 ans ? Je suis toujours étonnée par la réceptivité des enfants. Quand nous avons créé « Expiry Date », nous ne voulions pas le jouer pour les petits. Le personnage du vieil homme mourrait à la fin, et nous pensions que ce serait trop abrupt. Une programmatrice nous a convaincus de jouer devant des scolaires. Et ça a marché à fond. Les enfants lisaient les sous-textes mieux que les adultes !

 

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Le spectacle TALWEG est à découvrir à UP – Circus & Performing, dans le cadre des SERIES :

DATES : 

  • Jeudi 24/11 à 20h30
  • Vendredi 25/11 à 20h30
  • Samedi 26/11 à 19h
  • Dimanche 27/11 à 19h
  • Jeudi 1/12 à 20h30
  • Vendredi 2/12 à 20h30
  • Samedi 3/12 à 19h

 

Réservez vos tickets >>> https://upupup.be/show/talweg/

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