Le Projet Coin passe au cube, pour une recherche en 3D.
Certaines bulles sont explosives! En confinement très actif, les 3 acrobates du «Projet Coin» sont en Résidence [très] accompagnée @ l’Espace Catastrophe dans le cadre du dispositif «3R³» [3 Résidences au Cube], un programme d’accompagnement développé grâce à un partenariat réunissant l’Espace Catastrophe, Archipel 19 & Wolubilis. Portrait de «3 chiens fous», qui relèvent le pari d’unir monocycle & jeux icariens, avec un humour piquant en guise de 4e dimension.
Tout clown, dit-on, est un acrobate capable de rater avec une précision millimétrée. En se glissant comme une petite souris dans le laboratoire du Projet COIN, on se dit que ce trio acrobatique a visiblement l’art du décalage bien implanté dans l’ADN. Le monocycle de Florent Chevalier croise les jeux icariens de Théo & Lucas Enriquez, pour un mélange où chacun s’enrichit de la technique de l’autre. À 25 ans, sortis il y a peu de l’enseignement supérieur, ces trois-là ont déjà dans les pattes [au sens propre] une redoutable expérience du geste qui fait mouche, du mouvement qui touche et du rythme qui réunit le tout pour vous décrocher un grand rire de surprise.
Virtuoses? Assurément. Mais cela se cultive et se travaille avec acharnement. Ça tombe bien : on les retrouve dans la Salle TÔ de l’Espace Catastrophe, en plein milieu de leurs 2e Résidence issue du processus 3R³, qui passe aussi par Archipel 19 & Wolubilis. En tout, 3 semaines d’intenses recherches, qui mettent le trio en grande concentration. Pour 2 heures, on les tient assis sur leur chaise – ça n’a pas dû leur arriver depuis longtemps. « On a l’impression que c’est ici que le travail commence, en réinventant les outils que l’école nous a donnés », affirment-ils, heureux de se voir ainsi plongés en pleine incubation.
Une ardeur d’enfance
Ce laboratoire mouvementé ne sort évidemment pas de nulle part. D’aussi loin qu’ils se souviennent, ces trois-là ont eu des fourmis dans les jambes. Pour les parents de Théo & Lucas, jumeaux bondissants, « la seule solution, c’était le Cirque ou le Sport ». Ce sera le Cirque, en école de loisirs, de 8 à 18 ans. Pareil pour Florent, grand intrépide casse-cou, qui s’entraîne au monocycle dès ses 14 ans aux côtés des skaters et ira jusqu’à remporter, à 16 ans, un prix en championnat de trial et sprint sur monocyle. « On a toujours aimé repousser nos limites », confessent avec un petit sourire les 3 artistes. Doux euphémisme.
Ils étaient faits pour se rencontrer, sans aucun doute, mais ce n’était pas gagné : si tous les 3 sont Français, les frères Enriquez sont originaires de Pau [sud-ouest], tandis que Florent a grandi près de Rouen [plein nord]. Le coup de foudre décisif aura lieu grâce à l’école préparatoire, à Montpellier : ces 3 trompe-la-mort se retrouvent à Balthazar, Centre des Arts du Cirque où l’on se forme pour viser une école supérieure et où, surtout, l’ambiance est à la rigueur comme à la fête. Florent est dans l’année au-dessus, peu importe, ils ne se quitteront plus. « On y a gagné deux choses : une amitié sans condition et une rigueur sans relâche », sourient-ils. Les faits parlent pour eux : si Florent s’en ira ensuite étudier à l’Académie Fratellini, alors que les Lucas & Théo étudieront à l’Esac, le trio se reforme aujourd’hui, diplômé et intact.
Un vocabulaire commun
Florent Chevalier se produit en solo, avec ce redoutable jeu de monocyle mâtiné de « street » qui allie « saut, force et risque », comme il le définit. Théo & Lucas Enriquez travaillent en duo, avec ces jeux icariens fluides et souriants, incroyablement symbiotiques. Mais, avouent-ils, « on ne retrouve nulle part ailleurs ce vocabulaire qu’on développe entre nous, quand on est à trois ». Pour Florent, l’alchimie vient d’un défi : « Le monocyle et l’acrobatie peuvent sembler une mixture hautement improbable. Mais c’est justement de cette rencontre a priori impossible que naît notre envie de recherche. Comment faire dialoguer nos corps, nos agrès, nos techniques, notre lien, notre relation? » Le tout par les corps, bien entendu. « On se voit comme de jeunes chiens fous, toujours en recherche d’un nouveau défi. »
Chercher! C’est bien l’enjeu des Résidences au cube, cette sélection de 3 projets circassiens qui bénéficient chacun de 3 semaines de Résidence dans 3 lieux circassiens bruxellois. « L’idée est de mettre en place ce qui peut être le plus efficace pour les Compagnies », explique Catherine Magis, directrice artistique de l’Espace Catastrophe. « Chaque structure apporte ses ressources complémentaires et il y a un vrai passage de relais entre les résidences, ce qui permet de clarifier les besoins et de fixer les objectifs de chaque semaine de travail. » Pour le Projet COIN, ce cadre est plus que porteur : « Changer chaque semaine d’espace nous revitalise dans le travail », rapporte Lucas. « Chaque lieu nous fait changer d’énergie. On se fixe des objectifs à chaque fois, on multiplie les rencontres et on a vraiment le sentiment d’être suivis. En outre, ce qui n’est pas négligeable, cela permet de nouer des contacts privilégiés pour une création et une diffusion future. »
Le début d’une belle histoire
Trois hommes grimpent sur un plateau… Ce pourrait être le début d’une excellente histoire ! Tragique, comique, verbeuse ou physique. Avec Théo, Lucas & Florent, elle est immédiatement ludique, un peu cynique et hyper dynamique. « Le Cirque développe une absurdité que nous apprécions beaucoup », commente Florent. « Je suis un ardent défenseur des incohérences, des opposés, des illogismes physiques. J’estime d’ailleurs que le monocyle est un agrès incongru – il n’a qu’une roue ! Et j’essaye de voltiger alors que je fais 1m86. D’habitude, les grands ne sont pas voltigeurs. Leur corps est trop lourd, trop encombrant. On dit souvent que les grands ne savent pas trop où est leur corps. C’est mon cas! »
En l’écoutant, les yeux de Théo & Lucas pétillent. Et les frères confirment, quand on les y invite : « Florent, c’est la folie du mouvement en trois dimensions! », s’exclame Théo. « Il est grand et il l’exploite à fond. C’est comme si ce n’était pas son physique qui décidait où il va. Il y a des mouvements incontrôlés qui dérapent et qui créent le comique. » Comme on repère un même talent au mouvement chez Théo & Lucas, on interroge Florent : « Leur complicité est incomparable », acquiesce-t-il. « Il y a la génétique bien sûr : ils sont jumeaux, mais ils sont aussi incroyablement amis. Leur lien est très intense. Parfois d’ailleurs, j’accepte de ne pas comprendre ce qu’ils disent. Ils parlent en français, mais je ne comprends rien. »
Difficile de pas intégrer l’ingrédient de la gémellité dans le Projet COIN : en grimpant sur le plateau, ces 3 êtres créent déjà quelque chose de comique, avec le grand Florent qui dépasse du portrait de groupe, et les 2 frères de format un peu plus poche. « On en jouera, parce que l’on sait que le regard ne peut pas y échapper, mais sans en abuser », esquisse Théo. Si le trio est encore en phase de recherche de son vocabulaire, l’intention est déjà nette : « Dans ce monde dur, on a envie de trouver des moments d’apesanteur, de légèreté, où l’on arrive à rire, à trouver de l’apaisement, malgré tout », expliquent-ils. « Parfois, la légèreté, ça semble moins sérieux, mais c’est notre besoin, depuis toujours : que le corps nous entraîne ailleurs. » Tout acrobate et tout clown sait combien ce voyage coûte de sueur.
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★ Album photos de la Résidence du Projet Coin @ l’Espace Catastrophe 23 > 29.11.2020
★ + d’infos sur le dispositif des 3 Résidences³