KANO : une bouleversante traversée de l’amer.

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Le Cirque contemporain peut-il raconter l’inimaginable ? Le geste acrobatique peut-il nous faire vivre et ressentir de l’intérieur la réalité des migrant·e·s exposé·e·s au péril de l’exil ? Avec KANO, les Argonautes convoquent tous les Arts – Cirque, Musique, Arts plastiques & Vidéo – pour nous entraîner dans un voyage inouï où aucun mot n’est prononcé. C’est par d’autres canaux que ce canot lancé sur les flots veut nous toucher au cœur : la contorsion devient l’image de la débrouille pour la survie, la musique rythme les étapes de ce périple qui aurait fait frémir Ulysse lui-même. Fuyant tout apitoiement, KANO préfère la légèreté poétique malgré la noirceur du sujet. « Nous avons choisi le chemin de la métaphore, de la douceur. De toute façon, la réalité sera toujours plus forte que ce que tu pourras faire sur scène », nous explique le metteur en scène Philippe Vande Weghe. Avec Les Argonautes, la poésie se fait politique. 

Entre souvenirs du passé et cahots du présent, deux femmes et deux hommes jetés sur la mer dévoilent leur parcours, pour un spectacle qui vise nos consciences et nos tripes. KANO, la nouvelle création des Argonautes présentée dans la Black Box de UP – Circus & Performing Arts, peut surprendre par le sérieux de son sujet : depuis près de 30 ans, les flibustiers des Argonautes nous avaient habitués à des spectacles où le rire vient toujours danser avec le récit, comme le décoiffant et bien nommé ZOUFF [1998], l’ébouriffant PAS PERDUS [2007] ou le dédoublement physique & philosophique de SOLO DUE [2014]. Mais en choisissant d’aborder la thématique de la migration et de l’exil pour son nouveau spectacle, la Compagnie confirme ce que l’on savait déjà d’elle : sa soif d’un monde plus juste, plus poétique, inscrite dans une foi inébranlable en l’art et ses vertus réparatrices. Et puis surtout, comme nous l’explique le metteur en scène Philippe Vande Weghe, il y a eu un appel irrépressible, basé sur une révolte personnelle : « La diabolisation des migrants est inacceptable », lance-t-il. « J’ai rêvé de parler autrement de ces hommes et de ces femmes, pour nous ramener à plus d’humanité ». C’est par l’Art circassien du geste que l’équipe a composé KANO, avec un art du décalage qui devrait mettre du baume au cœur. Au plateau, trois acrobates hors pair [Anke Fiévez, Marina Cherry & Aurélien Oudot] dialoguent par le corps avec un musicien-compositeur [Corentin Boizot-Blaise], entre projections vidéo & plateau tournant. Rencontre avec Philippe Vande Weghe & Marina Cherry, à quelques jours de la Première, en pleine répétition dans la Black Box de UP – Circus & Performing Arts. 


KANO aborde la thématique de la migration & de l’exil. Comme ce sujet s’est-il imposé à vous ? 

Philippe Vande Weghe – Par un sentiment de révolte. Je n’en peux plus d’entendre certains discours populistes qui diabolisent les intentions des migrants. Comment peut-on prétendre que ces hommes et ces femmes risquent leur vie par plaisir ou pour gagner de l’argent ? Pensez-vous sérieusement qu’ils et elles ne pensent qu’à profiter du système ? Je suis révolté par le décalage entre les dangers traversés par les migrants et l’idée qu’on s’en fait. Le discours populiste se sert de ce thème pour se trouver un électorat. C’est répétitif dans l’Histoire : toute période d’insécurité implique de chercher des coupables. J’ai eu envie de réparer l’injustice que j’éprouve face à ce décalage. De rappeler, à travers la scène, que les migrants sont des hommes et des femmes comme vous et moi. Avec des histoires, des rêves, des peurs. Avec un passé, un présent terrible et des désirs de futurs. Aujourd’hui, ce sont elles et eux qui vivent l’exil. Il y a 80 ans, c’étaient les Européens, fuyant la Seconde Guerre Mondiale. Avec la crise climatique, qui seront les suivants ? Si on ne réfléchit pas en termes de solidarité, on le paiera. 

 

Tu as choisi d’incarner cette idée – au sens propre – avec quatre personnages au plateau. L’idée de récit est importante pour toi ? 

Philippe Vande Weghe – Bien sûr. Nous sommes une Compagnie de Cirque et de Théâtre. En tant qu’individus, nous avons des préoccupations, des doutes, des indignations. Mais notre travail n’est pas d’écrire des discours : nous n’affirmons pas, nous n’organisons pas de grand débat. Nous fabriquons un spectacle, où chaque spectatrice et spectateur peut se raconter sa propre histoire. Dès 2018, pour donner corps à mes idées, j’ai commencé à écrire le parcours de quatre personnages, deux femmes et deux hommes, qui peuvent refléter différentes époques, différentes situations. Chacun a son identité et son objet symbolique. 

Qui sont-ils ? 

Philippe Vande Weghe – La première femme [jouée par Anke Fiévez] fuit une catastrophe. Est-ce une guerre, une inondation ? Elle a perdu des proches. Elle n’a plus de liens, alors elle tisse, elle tricote la laine. Et puis il y a un homme qui porte un livre [Aurélien Oudot]. C’est celui qui parle trop, qui aurait dû la boucler. Il s’est enfui pour sauver sa peau. La deuxième femme [Marina Cherry] n’avait pas le droit d’exister là où elle vivait. Il est particulièrement dur d’être femme dans certains pays, et aussi sur la route de l’exil. Et il est encore plus difficile de ne pas se définir par un genre : androgyne, elle se plie littéralement en quatre pour rester droite dans sa quête d’identité. Enfin, il y a un musicien [Corentin Boizot-Blaise], qui mène la danse et souffle l’acrobatie. Il est inspiré du personnage de « Novencento : pianiste » d’Alessandro Baricco. Il n’a jamais quitté le rafiot, il a vu défiler des milliers de vies brisées et d’espoirs désespérés. Il est le regard de l’empathie. 

 

Marina Cherry, comment avez-vous transposé les idées écrites par Philippe dans votre travail physique ? 

Marina Cherry – Comme souvent en Cirque, c’est un processus qui s’est inscrit sur un temps long ! Philippe nous a très vite associés au travail. Il a choisi un très vaste sujet, mais il a tout fait pour qu’on s’y retrouve, qu’on ait notre place, dans le dialogue et la co-construction. C’était très important pour lui d’être dans le juste, d’être sûr de notre adhésion, vu l’aspect très sensible du propos. J’ai vraiment pu amener une question personnelle – la question du genre dans les cultures et dans la migration. L’exploration physique était au service d’une situation narrative, ce qui donne du sens au travail corporel. L’aspect technique et acrobatique n’est pas mis en avant, mais il constitue le langage, il est la voix des personnages. 

Le Cirque actuel semble prêt à aborder tous les sujets, même les plus durs… 

Marina Cherry – Oui, le Cirque peut parler de tout. Sa force, c’est sans doute une forme de légèreté artistique, qui permet de toucher des sujets difficiles. Du fait qu’il ne soit pas verbal, le Cirque invite le public à se créer ses propres histoires, à réfléchir par d’autres chemins, à tricoter son récit à partir de petits morceaux… Je pense que cette puissance du cirque est due à sa pratique elle-même : c’est un milieu bienveillant. J’y ai découvert une légèreté et un soin de l’autre que je n’ai pas croisés ailleurs. On ne doit pas spécialement montrer cela sur scène, mais je pense que cela colore la création. 

 

Musique, Vidéo, Cirque, écriture personnelle puis collective : KANO est un travail choral ? 

Philippe Vande Weghe – Oui, dès les premières étapes d’écriture, je suis allé vers Benjamin « Benji » Bernard & Christian Gmünder, mes comparses des Argonautes, pour avoir leurs retours. C’est très important pour nous de continuer à inventer la façon dont la Compagnie fonctionne. Notre passé commun et nos différences enrichissent le point de vue. 

La vidéo, projetée sur un tulle noir en avant-scène, et la musique, littéralement incarnée par un personnage, font partie intégrante du spectacle. L’aspect collectif du travail est aussi passé par des appuis extérieurs à propos du thème : j’ai rencontré des personnes qui travaillent avec les migrants, j’ai invité des associations lors de sorties de Résidence. Éric Mat, directeur du Centre Culturel de Gembloux, nous a aussi apporté son savoir, c’est notre grand sage ! Je voulais vraiment vérifier que je n’utilisais pas ce thème pour traiter d’une sorte de justification maladroite de nos actes. J’aurais totalement raté mon objectif. 

Le public attendu est celui des Adultes & des Ados, à partir de 10 ans. Une question de forme ? 

Oui, il y a un rythme particulier au niveau du spectacle, il faut accepter de rentrer dans ce tempo. Je pense que l’énergie du spectacle s’adresse plutôt aux adultes et aux jeunes du secondaire. Il n’y a pas de paillettes, pas de musique qui va à fond. Le sujet doit sans doute résonner avec des événements vus ou vécus. En même temps, le thème de la migration est universel et transgénérationnel. Les enfants comprennent parfois plus vite que les adultes que nous n’avons plus le choix : l’avenir de l’humanité dépendra de notre capacité à vivre ensemble. 

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Le spectacle KANO est à découvrir @ UP – Circus & Performing Arts dans le cadre des SERIES [8 représentations] : 

1re semaine 

  • Jeudi 16.11 à 20h30 
  • Vendredi 17.11 à 20h30
  • Samedi 18.11 à 18h 

+ Nuit_du_Cirque.brussels pour celles & ceux qui veulent continuer leurs découvertes circassiennes jusqu’au bout de la Nuit. 

  • Dimanche 19.11 à 17h 

 

2e semaine 

  • Jeudi 23.11 à 20h30 
  • Vendredi 24.11 à 20h30 
  • Samedi 25.11 à 19h 
  • Dimanche 26.11 à 17h 

 

Réservez vos tickets en cliquant ici >>>

 

Photos © Valentin Boucq

 

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