CHWALLOW : une explosion de couleurs servie sur un [grand] plateau.

En 1995, il y a 30 ans tout juste, Catherine Magis fondait l’Espace Catastrophe – aujourd’hui UP – Circus & Performing Arts – avec une idée dont elle n’a jamais démordu. « J’ai créé ce lieu pour que les modes d’expression se mélangent : Cirque, Danse, Théâtre, Arts plastiques… », explique-t-elle. « J’ai toujours pensé que l’interdisciplinarité était la clé de nouveaux vocabulaires. Quand des artistes de différents univers travaillent ensemble, ils et elles sont amené·es à explorer des territoires inconnus ! » Après trois décennies de ténacité, cette foi dans le croisement des genres s’incarne dans une collaboration inédite. UP – Circus & Performing Arts et le Théâtre Varia ont peaufiné ensemble un « soutien renforcé à la création circassienne interdisciplinaire ». Premier lauréat de cet appel à projet, qui aura lieu tous les deux ans, le spectacle CHWALLOW annonce la couleur : une rencontre explosive entre le Cirque & les Arts plastiques, à découvrir sur le grand plateau du Théâtre Varia.

Du soutien et de la confiance

« Je n’avais jamais été soutenu comme ça ! », lance Julien Fournier, qui court du four au moulin pour mettre la dernière main à cette création de l’Habeas Corpus Compagnie. « Le soutien – renforcé – porte bien son nom », commente l’artiste. « C’est un soutien complet : beaucoup de temps de Résidence dans les deux lieux, des moyens importants en coproduction, des dates de représentations, un soutien à la diffusion… C’est génial d’avoir des structures qui te font confiance, qui te donnent ainsi le temps et l’espace de mener un laboratoire, avec une visibilité importante. En Cirque, les moyens sont très réduits, on galère tous comme des fous pour boucler la production de nos projets. Ici, le soutien est incomparable. »

« Derrière ce soutien renforcé, il y a une analyse des besoins », détaille Coline Struyf, directrice du Théâtre Varia. « En Fédération Wallonie-Bruxelles, le Cirque manque de moyens et d’espaces. Les échanges que nous menons depuis longtemps avec l’équipe de UP – Circus & Performing Arts ont mené à une envie de partenariat. Le Varia est certes un Centre scénique dédié au Théâtre pour adultes, mais il a des missions plus ouvertes : soutenir la Danse, le Cirque ou le Théâtre jeune public, qui ne disposent pas des mêmes moyens de création que le Théâtre adultes. J’ai entendu la parole du secteur Cirque. Une réponse – humble – est de proposer l’accès au grand plateau, du temps pour y travailler avant la création, le soutien de nos équipes techniques et des séries de représentations plus longues. »

Des kilos de « slime »

Le moins que l’on puisse écrire, c’est que CHWALLOW a sauté des deux pieds dans l’espace-temps de ce « soutien renforcé ». « Le projet est énorme », reconnaît Julien Fournier. « Sans ce contexte porteur, il n’aurait jamais pu voir le jour – même pas en rêve! » Pour forger le successeur de « Burning » – son précédent spectacle récompensé aux Prix Maeterlinck de la Critique –, le circassien poursuit sa passionnante exploration des corps aux prises avec des espaces hors du commun. Dans « Burning », l’espace de jeu passait peu à peu de l’horizontale à la verticale, sur le thème brûlant du burn-out. Cette fois, Julien Fournier a rêvé en extra-large. Le circassien a mené un fécond dialogue avec Marie Douel et Lolà Mancini, deux plasticiennes créatrices de scénographies d’exposition. De cette rencontre entre Cirque et Arts plastiques est né un spectacle qui floute les frontières entres les genres. Sept interprètes (six circassiens & une danseuse-acrobate) sont plongé·es dans un univers où les formes ont la parole. Un vaste espace blanc, banquise de tous les possibles, va se colorer d’orange, se peupler de milliers de billes de frigolite et de kilos de « slime », avant d’être avalé par le noir. Dans le CHWALLOW du titre, il faut donc tout à la fois entendre « chamallow » et « swallow » (« avaler » en anglais). « Un mélange de légèreté un peu fun et de choses plus inquiétantes », annonce Julien Fournier, les deux mains dans les 80 kilos de « slime » qu’il est occupé à préparer. « On a fait du bleu, on essaye du noir », précise-t-il.

Mais le secret de fabrication de CHWALLOW tient sans doute moins dans ces savants mélanges que dans un autre ingrédient, plus rare et plus précieux : le temps. « Le projet se situe exactement entre cirque et arts plastiques : pour trouver le vocabulaire commun, il faut du temps », confirme Julien Fournier. « Nous avons voulu que tous les éléments du spectacle soient sur un même pied : la lumière, le son, les arts plastiques, le cirque ou la danse sont tous la source du propos. C’est une pièce à la fois sonore, lumineuse, circassienne et chorégraphique. Pour moi, l’interdisciplinarité, c’est ça : une tentative d’expérimentation d’un langage hybride. Souvent, par exemple, la lumière des spectacles de Cirque est créée lors des dernières semaines de travail. Ici, elle est intégrée depuis le début. Et donc elle peut être moteur de ce qui se joue en scène, au même titre que le mouvement ou le son. C’est comme si on inversait les processus. Ça demande évidemment énormément de temps. »

Des rencontres audacieuses

Le soutien de UP – Circus & Performing Arts et du Théâtre Varia s’est précisément rêvé comme un alambic où des rencontres audacieuses prennent le temps de se nouer. L’interdisciplinarité se joue dans le mélange, pas dans la simple juxtaposition. « Il ne s’agit pas prendre un ou une circassien·ne et de le « coller » avec un ou une chorégraphe », reprend Catherine Magis. « On n’est pas dans le collage, mais dans l’échange de pratiques. Et cet échange a besoin de temps et d’espace, d’essais et d’erreurs, pour forger sa langue singulière. » C’est bien sûr le cœur de la collaboration entre les deux Centres de Création : donner au Cirque la possibilité d’explorer de nouveaux territoires. « Dans ce partenariat avec le Varia, le Cirque gagne une autre visibilité, explore d’autres plateaux, se frotte à des équipes et à des artistes d’autres secteurs », se réjouit Catherine Magis. « C’est un marteau-piqueur pour faire tomber les frontières! »

« Le Varia travaille sur la porosité des genres », complète Coline Struyf. « Et cette collaboration permet aussi de travailler sur la porosité entre différents publics. Des spectateurices davantage habitué·es au Théâtre sont amené·es à voir du Cirque, que nous défendons comme une écriture contemporaine de plateau, au même titre que le Théâtre, la Danse ou le Jeune public. Pour nos équipes aussi, cet accompagnement a du sens : il ouvre à d’autres façons de créer. Ce dialogue entre les disciplines amène de la richesse. En tant que personne de Théâtre, c’est difficile pour moi de raconter CHWALLOW : la dramaturgie n’est pas celle du mot mais de la couleur, de l’organicité rebondissante! Pour nous, gens de Théâtre, c’est important d’être défié·es ainsi. Ça nous maintient en vie! Et c’est bien le but des Arts vivants. »