Créer des ponts pour mieux s’envoler
Si le Cirque a l’ouverture et la générosité enracinées dans son ADN, il prend aussi des couleurs particulières, plus sociales et politiques qu’il n’y paraît. Au-delà de la convivialité apparente, le Cirque contemporain se donne aussi pour mission de recréer des liens de confiance là où le collectif n'est plus. C’est dans cette mouvance que s’inscrit UP – Circus & Performing Arts qui, depuis son implantation à Molenbeek en 2021, multiplie les actions de médiation pour accueillir des publics de quartiers qui n’ont pas forcément l’habitude d’être en contact avec les pratiques circassiennes. Moyen d’expression accessible à toutes et tous, le Cirque permet pourtant de travailler la confiance en soi, en l’autre, l’écoute ou encore le courage... Illustration revigorante avec les Baptêmes au Trapèze Volant comme faiseurs de liens.
Dans la foulée de MolenFest, fête citoyenne en soutien à la candidature de Molenbeek comme Capitale européenne de la Culture en 2030, UP – Circus & Performing Arts joue les prolongations avec la structure de Trapèze Volant, montée sur son esplanade pour l’événement. Durant trois jours, quelques écoles et associations du quartier et de la région ont été invitées à venir tester la réjouissante discipline. Plusieurs classes ont répondu à l’appel, aidées par l’experte Mathilde Clapeyron (Cie Epissure), acrobate aérienne et formatrice. Depuis 8 ans, elle voyage en tiny house avec sa propre structure de trapèze petit volant, et propose stages et initiations pour tous les curieux·ses.
Solidarité et confiance en soi
Une quinzaine d’adolescentes de 15 et 16 ans, venues de l’école Saint-François à Ixelles, rejoignent UP ce jour-là pour s’initier au Trapèze Volant. Une évidence pour leur professeure d’éducation physique, Léna Michiels, adepte de cette ouverture circassienne : “Je trouve important de familiariser les élèves à d’autres pratiques, notamment de Cirque. Les élèves sont demandeur·euses”. L’appréhension se lit pourtant dans les regards, mais Catherine Magis, directrice artistique & pédagogique de UP – Circus & Performing Arts, accueille les jeunes filles avec des mots encourageants : “Dans les techniques de Cirque, il y a de la place pour tout le monde, pour tous les corps, tous les physiques, toutes les capacités. Aujourd’hui, on voudrait que chacune d’entre vous soit fière d’avoir fait le grand saut.”
La plateforme culmine à un peu plus de 3 m de haut. Elle intimide d’emblée. Mais Mathilde se veut rassurante. Elle donne les consignes de sécurité et montre les bons gestes. Tant pour celle qui voltige que pour celles qui assurent. Et rappelle aussi l’importance du regard, la nécessité de rester présente à l’autre. Car le Trapèze Volant est une discipline exigeante et un peu magique qui permet non seulement de se dépasser, mais aussi de travailler sur la collaboration. Mathilde Clapeyron, trapéziste chevronnée, est convaincue de la force de frappe de cet outil : “Le trapèze volant touche à plein de choses fondamentales : la solidarité, la confiance en soi et en les autres, le courage… Le fait de reconnaitre ses émotions aussi, parce qu’il est parfois difficile de dire ‘j’ai peur’, et de l’assumer. Malgré cette peur, qu’est-ce qui va me permettre de sauter, et de me rendre compte que j’en suis capable ?”.
Le vent souffle fort ce mardi-là mais n’émousse pas les ambitions de faire le grand plongeon. Alice monte sur la plateforme en premier, sous les rires gênés et les encouragements timides de ses camarades. Bien sanglée dans la ceinture de sécurité et aidée par deux coéquipières qui maintiennent le trapèze, la voltigeuse en herbe se prépare. Elle hésite, pétrifiée par la peur. De longues minutes passent. Mathilde l’encourage : “Tu en es capable. Courage, il faut juste faire le pas et arrêter de réfléchir”. Alice se lance enfin, et c’est une ovation qui l’accueille en bas. “J’avais l’impression que j’allais faire une chute libre ! Mais pas du tout, c’était génial. C’est plutôt l’idée qui fait peur que le saut lui-même”, raconte la jeune fille. Elle laisse alors place à Gracie, Kiana, Kenza ou Amina, qui, toutes, ont joué le jeu.
« Ça change du basket et du foot au cours de gym ! »
Venus en voisins de l’Ecole communale 9 à Molenbeek, Ismaël & Mohammed-Amine, eux, n’ont pas tergiversé longtemps avant de plonger dans le vide : “C’était trop bien, on avait l’impression de voler !”. Leur classe de 6ème primaire a quasiment traversé la rue pour se rendre à UP. Une proximité géographique qui facilite l’organisation mais aussi les échanges. Depuis qu’UP – Circus & Performing Arts s’est implanté à Molenbeek, dans le quartier Beekkant, la création de ponts grâce au Cirque est devenue l’un de ses axes prioritaires. Comme le souligne Benoît Litt, son codirecteur : “Notre volonté, à travers la médiation, n’est pas juste de proposer des spectacles aux jeunes du quartier. L’axe d’ouverture à d’autres publics fait partie de nos missions. C’est pourquoi, dès que l’occasion se présente, on essaie d’ouvrir nos actions à nos voisin·es, qui ne font pas spécialement partie de nos publics habituels”. Ou comment multiplier les chances d’inoculer le virus du Cirque, stimuler les échanges et entamer un vrai dialogue.
Mission réussie pour Jad, Lina & Aya qui ont eu la chance de tester le Trapèze Volant et ont déjà adoré. Même son de cloche chez Yasmine : “C’était incroyable ! Et puis, ça change du basket ou du foot au cours de gym”. Soulayman, lui, a surtout “aimé la fin quand on lâche le trapèze et qu’on tombe sur le gros tapis”. Leurs copains et copines de 5ème primaire attendent patiemment leur tour. Si certain·es ont plus de difficultés que d’autres, elles et ils sont encouragé·es encore plus fort par leurs camarades. Comme le précise Mathilde Clapeyron, le plus important avec ces publics, c’est de “travailler sur la notion d’écoute, de respect et de solidarité. L’avantage avec les classes, c’est que chacun·e aura son tour. Les élèves vont donc parfois se rendre compte que leurs préjugés sont faux : même celui ou celle qu’on n’entend pas sait le faire. Ça aide les enfants à reconnaitre que tout le monde a de la valeur”.
Et même les enseignant·es s’y collent. “C’est chouette pour les gamins de voir leur enseignant·e se dépasser. La prise de risque entraine un respect d’autant plus important de la part de l’élève”, précise la trapéziste. “Et le fait de partager cette expérience ensemble change aussi bien des choses au niveau de la cohésion de la classe entière”. Un outil collaboratif précieux, donc. Lorsqu’on leur demande si elles aimeraient refaire du trapèze, c’est en cœur que Léa, Tenzin, Nourheen & Ferdaous répondent : “Ouiiii !” Pari gagné.
Le langage du corps
Le lendemain, c’est un autre type de public qu’UP – Circus & Performing Arts s’apprête à accueillir : un groupe de primo-arrivant·es d’une classe DASPA [Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et Assimilés]. Les élèves ont entre 14 et 16 ans, et viennent majoritairement d’Ukraine, du Brésil, parfois de Géorgie, d’Albanie, du Congo, d’Afghanistan. Plusieurs sont aussi des Marocain·es émigré·es d’Espagne. Autant de nationalités pour autant de langues différentes, dans un joyeux melting pot. Arrivé·es en Belgique depuis deux ou trois mois au maximum, la plupart ne parlent pas le français. Les traducteur·ices s’activent, mais c’est le langage du corps qui parle le mieux. Soufiane, leur accompagnant, note l’importance de “faire des activités en dehors du cadre de l’école, surtout en début d’année. Ça crée une cohésion, de la camaraderie. Certain·es n’arrivent pas à communiquer. Des tensions se créent juste parce qu’ils et elles ne se comprennent pas”. Le Trapèze Volant arrive donc à point nommé pour aider ces ados déjà bien bousculé·es à mieux trouver leur place. C’est aussi ça, le Cirque !
– Le Cirque comme Corps social, un sujet à approfondir avec un numéro entier de C!RQ en CAPITALE, à consulter en ligne : https://cirqencapitale.be/magazine/cirque-en-capitale-2/